Il est parfois difficile de penser rationnellement lorsque les sentiments obscurcissent notre jugement. Cette réflexion, presque existentielle, s’applique parfaitement aux dirigeants et dirigeantes d’entreprise lorsqu’un enfant ou membre de la famille est également employé dans l’entreprise familiale. Ce fut le cas de la famille Corleone dans le film et roman culte, Le Parrain, dont multiples erreurs et trahisons commises par Fredo, l’un des frères, a donné son nom à un phénomène, l’« effet Fredo ».

L’effet Fredo, c’est quoi ?

Fredo Corleone est un personnage de fiction dans le roman Le Parrain ainsi que dans son adaptation cinématographique qui est entré dans la postérité pour sa trahison familiale qui entraîna sa chute. Selon les auteurs de cette étude, l’« effet Fredo » (Kidwell, Kellermanns, Carter & Eddleston, 2012) renvoie à un membre de la famille employé dans l’entreprise et qui entrave sa pérennité par des comportements contre-productifs et/ou des agissements nocifs, c’est-à-dire dont les conséquences compromettent les performances de celle-ci. C’est un phénomène complexe et dont les répercussions peuvent être difficiles à résoudre dans une entreprise familiale.

La relation et les interactions des parents envers les enfants constituent une première explication au comportement nuisible de ces derniers et ce, en dépit de leurs intentions originelles, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. À titre d’exemple, les parents ou autres membres de la famille ont tendance à manifester une foi inébranlable et des encouragements continus à l’égard des enfants employés même s’ils sont incompétents ou ne répondent pas aux devoirs qui les incombent (Lubatkin, Schulze, Ling & Dino, 2005).

L’émergence d’un.e Fredo dans l’entreprise

En quelques mots, le  dirigeant ou la dirigeante d’une entreprise familiale peut avoir tendance à confondre les intérêts de l’entreprise et ceux de la famille. Le népotisme, c’est-à-dire la tendance à favoriser l’ascension d’un ou plusieurs membres de la famille dans l’entreprise, au détriment des processus de sélection ordinaires et du mérite, en est l’illustration la plus édifiante. L’interconnexion des normes familiales et entrepreneuriales se traduit donc par une plus grande indulgence à l’égard des erreurs commises par l’enfant employé et même à l’égard de qualités intrinsèquement inférieures à d’autres employés non-membres de la famille. Il en résulte une cristallisation des tensions intrafamiliales voire des problèmes liés à la productivité et au travail d’équipe dans l’entreprise.

Les recherches menées en psychologie familiale montrent que des relations parent-enfant perçues comme étant négatives, autrement dit liées à un style d’éducation parentale permissif ou négligent mais aussi à des relations différenciées à l’égard des enfants, conduisent plus tard à des comportements dysfonctionnels au sein de l’entreprise familiale. Mais ce n’est pas tout puisque la rivalité entre frères et sœurs au sujet du rôle ou de l’importance dans l’entreprise peut aussi être la source de l’émergence d’un Fredo, notamment si elle concerne un poste-clé.

Comment un.e Fredo peut-il troubler la pérennité de l’entreprise ?

Si la transmission est un véritable enjeu de pérennité pour l’entreprise familiale (Shanker & Astrachan, 1996), elle repose fondamentalement sur une relation de confiance et une bonne entente entre le cédant/la cédante et le successeur/la successeure. Pour les chercheurs et chercheuses de cette étude, deux types de troubles peuvent perturber ces facteurs-clés et sont souvent synonymes de tensions intestines, de mauvaises décisions, ou encore de faible rendement.

D’une part, l’impunité perçue d’un.e Fredo peut tout à la fois éveiller un sentiment d’injustice auprès des employé.e.s qui n’appartiennent pas à la famille et/ou les amener à s’aligner sur ces comportements déviants. D’autre part, l’enchevêtrement des rôles familial et professionnel d’un.e Fredo au sein de l’entreprise rend difficile une évaluation pragmatique de ses compétences par le dirigeant ou la dirigeante. Par conséquent, une décision objectivement positive pour l’entreprise comme le licenciement du.de la Fredo peut être biaisée par la volonté de maintenir de bonnes relations familiales.

Comment résoudre les problèmes créés par les actions d’un Fredo ?

Tout d’abord, l’entrée de l’enfant dans l’entreprise ne doit pas reposer uniquement sur le statut familial impliquant un prétendu devoir d’engagement mais au contraire sur de réelles qualités avantageuses pour l’entreprise. Dans cette optique, un cadre normatif (niveau d’études, expériences minimum, période d’essai préalable à l’embauche, etc.) doit réguler l’embauche des membres de la famille dans l’entreprise afin d’éviter l’essor d’un népotisme. Cette tendance peut créer une forme de dépendance de ces membres – éventuellement sous-diplômés au regard du poste pourvu – à l’égard de l’entreprise familiale (Kellermans & Eddleston, 2007).

En outre, l’évaluation des employé.e.s doit reposer une grille de critères relatifs aux attentes, à l’exemplarité et au rendement, indépendamment du statut familial de l’employé.e. En effet, les entreprises familiales ayant fomenté une culture du mérite et un système de récompense considéré comme étant juste et transparent ont moins tendance à développer un effet Fredo. En résumé, transparence, exemplarité et justice sont les maîtres-mots d’une cohabitation saine entre les employé.e.s et d’un rempart à l’émergence d’un.e Fredo au sein de l’entreprise familiale.

Ici, le Conseil de famille est décrit comme une arène permettant la clarification des rôles, la résolution des conflits et, surtout, la rédaction d’un code d’éthique. Enfin, le dirigeant/la dirigeante est toujours garant.e de la décision finale et, en ce sens, il.elle doit faire preuve de fermeté lorsque les symptômes de l’apparition d’un.e Fredo se font ressentir dans l’entreprise. Toutefois, lorsqu’un effet Fredo est le résultat d’une multitude de facteurs relationnels inscrits dans le temps long, le dirigeant/la dirigeante paraît peu armé.e et s’impose alors le recours à des conseillers externes spécialisés.


Kellermans, F. & Eddleston, K. (2007). Family perspective on when conflict benefits family firm performance. Journal of Business Research, 60(10), 1048—1057.

Kidwell, E. R., Eddleston, K. A., Carter, J. J., & Kellermans, W. F. (2012). How one bad family member can undermine a family firm: Preventing the Fredo effect. Business Horizons, 56, 5-12.

Lubatkin, M. H., Schulze, W. S., Ling, Y., & Dino, R. N. (2005). The effects of parental altruism on the governance of family managed firms. Journal of Organizational Behavior, 26(3), 313—330.

Shanker, M. C., & Astrachan, J. H. (1996). Myths and realities: Family businesses’ contribution to the U.S. economy. Family Business Review, 9(2), 103—124.

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